
Berlin, Allemagne (Weltexpress). Au printemps 1975, la défaite des Etats-Unis dans la guerre contre le Vietnam, qu’ils menaient depuis 1965 au Sud-Vietnam avec plus d’un demi-million de troupes au sol, se profilait à l’horizon. Les accords de paix de Paris, signés le 2 mars 1972 entre la République démocratique du Viêt Nam et le Front national de libération du Viêt Nam du Sud (FNL) d’une part, et les Etats-Unis et leur gouvernement fantoche sud-vietnamien d’autre part, avaient été systématiquement sabotés par les Etats-Unis et Saigon. Cela s’est produit bien que l’accord ait été approuvé par une conférence internationale sur le Viêt Nam à laquelle participaient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que la Hongrie, la Pologne, le Canada et l’Indonésie. Dans l’article 1, les États-Unis devaient reconnaître, ce qu’ils avaient refusé jusqu’alors, « l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Viêt Nam, telles qu’elles ont été reconnues dans les accords de Genève sur le Viêt Nam de 1954 ». Ils devaient, ce qu’ils avaient également refusé jusqu’alors, non seulement convenir dans l’article 2 d’un cessez-le-feu commençant le 27 janvier 1972 à 24 heures, heure de Greenwich, avec les parties combattantes du Sud, mais aussi accepter dans l’article 3 le maintien des forces armées des deux parties là où elles se trouvaient. Cela signifiait la reconnaissance des zones libérées du Sud-Vietnam comme territoire contrôlé par les forces de libération. Cela impliquait de facto de reconnaître que des Nord-Vietnamiens combattaient également aux côtés des forces de libération.
L’article 5 obligeait les États-Unis à retirer dans les soixante jours « toutes les troupes, les conseillers militaires et le personnel militaire, y compris le personnel militaire technique et le personnel militaire travaillant dans le cadre du programme de pacification, ainsi que les armes, les munitions et le matériel de guerre ». L’article 4 interdisait déjà à ces personnes de s’ingérer dans les affaires intérieures du Sud-Vietnam. L’article 6 obligeait les Etats-Unis à démanteler toutes leurs bases militaires dans un délai de soixante jours. Cela concernait également toutes les forces armées des alliés des États-Unis des pays de l’OTASE et de la Corée du Sud se trouvant au Sud-Vietnam. Les articles 9 à 14 contenaient des dispositions visant à réaliser le droit à l’autodétermination du peuple du Sud-Vietnam. Les deux parties, à savoir le gouvernement révolutionnaire provisoire (PRR) formé par le FNL, la République du Sud-Vietnam (RSV) fondée par ce dernier et le gouvernement de Saigon, devaient, immédiatement après l’armistice, « mener des consultations dans un esprit de réconciliation et de concorde nationales, de respect mutuel et de non-élimination réciproque, afin de former un conseil national de réconciliation et de concorde nationales » qui devait préparer « des élections générales libres et démocratiques ».
Avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au Sud-Vietnam, les États-Unis se sont engagés à cesser toutes les activités militaires de leurs forces terrestres, aériennes et navales contre le territoire de la République démocratique du Viêt Nam et à mettre fin au minage des eaux vietnamiennes. Les États-Unis s’engageaient à procéder immédiatement au déminage.
L’article 15 sanctionnait la réunification du Viêt Nam et stipulait qu’elle « serait réalisée progressivement par des moyens pacifiques, sur la base de discussions et d’accords entre le Nord et le Sud Viêt Nam, sans contrainte ni annexion par l’une ou l’autre partie et sans ingérence étrangère ». Dans ce contexte, l’accord confirmait explicitement le caractère provisoire de la ligne de démarcation militaire au 17e parallèle, tel que défini dans les accords de Genève de 1954. Pour réaliser l’accord, une conférence consultative des deux parties sud-vietnamiennes a été mise en place dans la banlieue parisienne de La Celle-Saint Cloud.
Les États-Unis et leurs marionnettes de Saigon ont saboté les accords de Paris
Les accords de Paris représentaient une défaite catastrophique de la politique américaine au Vietnam. En les respectant, Washington aurait encore pu sauver la face à moitié et se retirer du Vietnam conformément au traité. C’est ce qu’avait fait la France en 1954. Il en va autrement pour les Etats-Unis. Pour éviter de nouvelles défaites militaires, ils ont certes retiré leurs troupes restantes après de nombreuses manœuvres de retardement, mais n’ont pas respecté leurs autres obligations. Ils ont laissé leurs conseillers militaires et autres experts militaires, soit 25 000 hommes, au Sud-Vietnam, qui ont poursuivi leurs activités en tant que « civils ». Les Etats-Unis ont violé les conditions relatives au remplacement du matériel militaire autorisé par les deux parties. Déjà entre le 28 janvier et le 10 juillet, le Pentagone a livré à l’armée de Saigon 696 avions supplémentaires, 1.100 chars, 800 pièces d’artillerie, 204 navires de guerre et d’autres équipements militaires, dont des agents chimiques de combat et d’énormes quantités de munitions.
L’armée du président Thieu de Saigon
devait être en mesure de mener de nouvelles actions de combat contre l’Armée de libération, ce qu’elle n’a pas tardé à faire. Comme le PRR l’a démontré dans une documentation publiée en janvier 1975, l’armée de l’air de Saigon a effectué 29.897 raids aériens sur les zones libérées ou des vols de reconnaissance au-dessus de celles-ci entre janvier 1973 et janvier 1975. Son artillerie a bombardé 48.354 fois leur territoire et ses troupes au sol y ont pénétré 59.794 fois. Au total, Saigon a violé le cessez-le-feu 532.154 fois. Lors des opérations de « pacification », des dizaines de milliers de personnes ont été tuées ou blessées, comme les années précédentes, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées. Les autorités de Saigon ont non seulement refusé de libérer près de 200.000 personnes incarcérées, mais ont également jeté en prison 60.000 autres personnes qui s’étaient engagées pour la réalisation des accords de Paris. La direction des opérations militaires et de renseignement de Saigon restait inchangée entre les mains des militaires du Pentagone ou de la CIA, dont les sièges se trouvaient désormais à l’ambassade des États-Unis. Dans les bases de Da Nang, Nha Trang, Bien Hoa et Can Tho, qui, comme toutes les autres bases américaines, n’avaient pas été dissoutes mais remises à l’armée sud-vietnamienne, les consulats américains constituaient les centres de commandement. Le « U.S. News & World Report » écrivait le 4 février 1974 que l’ambassade américaine de Saigon constituait le « Pentagone de l’Est », un « centre prêt au combat qui ne diffère en rien d’un poste de commandement de l’époque où les Américains participaient encore au combat ».
Encouragé par les Etats-Unis, le président Thieu s’est livré au sabotage des accords de Paris en public. Le 9 mars 1973, il déclara son gouvernement et son armée « uniques au Sud-Vietnam ». Le 12 octobre, il menaça que quiconque se déclarerait « neutraliste ou pro-communiste ne survivrait pas cinq minutes ». Le 28 décembre 1973, il annonça : « Il n’y aura pas d’élections, pas de paix, et la conférence de La Celle-Saint Cloud n’aboutira jamais à une solution politique ». Le 16 avril 1974, les représentants de Saïgon quittèrent la conférence, qui fut ainsi interrompue.
La dernière offensive au Vietnam
Les protestations contre la violation des accords de Paris par la RSV et la RDV, les appels à ne pas bloquer un règlement pacifique et les avertissements de ne plus rester les bras croisés n’ont pas été entendus. Face à cette situation, l’armée de libération a commencé à se préparer, à partir d’octobre 1974, à sa dernière grande offensive, dont l’objectif était de renverser le régime de Thieu et de libérer définitivement tout le Sud-Vietnam. Elle était dirigée par le général RSV Van Tien Dung. Entre le 4 et le 18 mars 1975, les troupes sont passées à l’attaque de manière échelonnée dans le temps, en trois groupements, au nord, sur les hauts plateaux centraux et au nord de Saigon. La force de l’offensive et son impact moral sont dus au fait que les forces de libération ont attaqué de manière beaucoup plus forte qu’auparavant dans des formations de combat modernes et que l’adversaire a perdu la supériorité aérienne.
Cela a été démontré le 11 mars lors de la première attaque contre la base lourdement fortifiée de Be Me Thuot au nord. Après un intense bombardement d’artillerie, des chars ont avancé avec de l’infanterie montée et ont pris la forteresse en seulement quatre heures. Ce coup de main a été rendu possible par le soulèvement de la population de la région qui a ouvert la voie aux unités de la RSV. Le correspondant de l’AFP Paul Léandri a confirmé dans un rapport que « la population locale a joué un rôle décisif dans l’expulsion des troupes gouvernementales de la région montagneuse centrale » (« Le Monde, 2 avril 1975). La police du régime s’est vengée en l’assassinant en pleine rue le 14 avril.
En poursuivant leur avancée, les combattants de la libération ont détruit ou mis hors d’état de nuire plusieurs éléments de l’armée. Après la prise de Quang Tri, ils avancèrent vers l’ancienne ville impériale de Hue, qui tomba entre leurs mains presque sans combat le 25 mars, car les Sud-Vietnamiens, pris d’une folle panique, s’enfuirent vers Da Nang pour se réfugier sur des navires de la 7e flotte. L’effondrement du régime se profilait déjà à l’horizon. Des unités de l’armée de Saigon se dissolvaient, beaucoup de leurs soldats parcouraient les rues en se livrant au pillage. Les marines de l’armée fantoche violaient les femmes et se frayaient un chemin vers les navires à quai. Le 29 mars, l’immense base aérienne et navale, autrefois promue comme imprenable, était aux mains des troupes de la RSV, qui ont capturé un grand nombre d’armes, dont des dizaines d’avions et environ 200 chars.
Comme la propagande de Goebbels en son temps, le commandement militaire américain a tenté d’inciter ses marionnettes de Saigon à résister jusqu’au dernier homme et à la dernière cartouche en lançant des slogans de peur face au « Viet Cong ». La revue de l’armée « The Arms and Strips » titrait l’une de ses horreurs : « Au moins un million de Sud-Vietnamiens seront assassinés par les Rouges ». Mais les slogans ne faisaient plus guère mouche, d’autant plus que les combattants de la libération laissaient souvent simplement partir les soldats de Saigon capturés et que la nouvelle se répandait. Les guérilleros se promenaient ouvertement sur les routes où les Saïgonnais s’enfuyaient. « Ils bavardaient avec les villageois et racontaient des blagues, ils faisaient des signes aux soldats du gouvernement du Sud qui se retiraient dans des camions sur la Highway One, la route principale. Une affiche artisanale placée le long de la route déclarait : ‘Victoire sans effusion de sang’ ». Là où les soldats ne s’enfuyaient pas, ils se rendaient. Des unités entières se sont aussi tout simplement dispersées.
Thieu évacua précipitamment le plateau central afin de raccourcir le front et de pouvoir mieux défendre Saigon. Il tenta également de convaincre les Etats-Unis de réengager leurs troupes. L’armée de libération pénétra alors dans la capitale du régime fantoche en passant par les hauts plateaux centraux. C’était le début de la dernière étape de l’offensive finale menée par le général Dung sous le nom de « campagne Hô Chi Minh ».
Le 8 avril, le pilote sud-vietnamien, le lieutenant Nguyen Thanh Trung, s’est élevé de la base aérienne de Bien Hoa à bord d’un Northrop F-5 E et a bombardé le palais présidentiel. Il a ensuite atterri sur un aérodrome des forces de libération. Trung a reçu le grade de capitaine de l’armée de libération et a commencé à former ses pilotes sur des A 37 capturés. A la tête de cinq de ces appareils, il a mené une attaque sur l’aérodrome de Than Son Nhut le 28 avril. Au sol, la terreur se répandit lorsque les types A 37 – donc « propres » – descendirent et lâchèrent des bombes. Ils ne détruisirent que les hangars, épargnant les pistes afin de pouvoir les utiliser eux-mêmes après la prise de l’aérodrome.
Le 9 avril, les premières positions à l’avant de la ceinture de défense de Saigon furent attaquées, l’aérodrome de Than Son Nhut était déjà à portée de l’artillerie des assaillants. Le 19 avril, la PRR a de nouveau fait une offre de paix. Seule condition : elle exigeait le départ de Thieu. Aucune réponse n’a été donnée.