L’Amérique peut-elle retrouver sa suprématie mondiale ?

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Berlin, RFA (Weltexpress). L’influent think tank américain « Foreign Affairs » a publié un plan directeur qui s’inspire des souhaits de grandeur américaine. L’auteur de l’étude montre ainsi la perte de réalité typique de l’establishment de la politique étrangère américaine, qui promeut des solutions simples.

Les impérialistes américains ont essuyé de graves revers géostratégiques ces dernières années, mais ils se sentent toujours les maîtres de l’univers. Ce qui est particulièrement dangereux à cet égard – tant pour eux-mêmes que pour le reste du monde – c’est le fait qu’ils continuent à se comporter comme s’ils pouvaient soumettre le monde entier à leurs diktats, sanctionner à leur guise et, si cela ne suffit pas, menacer de faire la guerre et de déclencher des conflits.

Compte tenu de l’hubris et de la folie de la toute-puissance des bellicistes de Washington, les nombreux foyers de conflit actuels, tous attisés par Washington, peuvent rapidement dégénérer de manière incontrôlable. Cela rappelle le chauvinisme de la Grande Allemagne qui a conduit à la Première Guerre mondiale et dont la devise était : « Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur ».

L’étude sur les souhaits dont il est question ici a été réalisée par Mme Nadia Schadlow et publiée le 9 octobre par Foreign Affairs sur son site Internet. Mme Schadlow n’est pas une débutante en politique de sécurité américaine, puisqu’elle a été conseillère adjointe à la sécurité nationale pour la stratégie à la Maison Blanche sous l’administration Trump et qu’elle occupe actuellement le poste de « Senior Fellow » au célèbre Hudson Institute, où elle se prépare déjà à recevoir un nouvel appel de la Maison Blanche après les élections. De toute évidence, Foreign Affairs s’attend à une victoire de Trump et a invité une personne de son ancienne équipe à expliquer comment l’Amérique peut retrouver sa suprématie mondiale sous la présidence de Trump.

Dans son article, Mme Schadlow reconnaît que la situation géopolitique autour des Etats-Unis a changé de manière spectaculaire au cours des dernières années. Selon elle, la concurrence entre les grandes puissances, longtemps marquée par la domination mondiale des États-Unis, s’est intensifiée, notamment avec la montée en puissance de la Chine, de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord. Ces pays poursuivent des stratégies de plus en plus agressives et cherchent des moyens d’influencer l’ordre international, tandis que les États-Unis doivent s’adapter à de nouveaux défis.

Un second mandat présidentiel de Donald Trump, qui avait déjà mis en avant la compétition entre grandes puissances lors de son premier mandat, pourrait signifier une réorientation profonde de la politique étrangère et de défense américaine, selon Mme Schadlow, qui a déjà développé un concept à cet effet :

La nécessité d’une nouvelle stratégie : « Overmatch ».

Un concept décisif dans la nouvelle ère géopolitique serait l’idée de l’« Overmatch » (en français : « le dépassement »). Cette stratégie repose sur le fait que les Etats-Unis doivent disposer de capacités militaires supérieures pour remporter des victoires asymétriques sur leurs adversaires. Il ne s’agit pas seulement d’être préparé à des conflits isolés, mais d’être en mesure de mener simultanément plusieurs conflits militaires de longue durée. Cela nécessite un renforcement fondamental des capacités militaires des Etats-Unis et une plus grande indépendance vis-à-vis des chaînes d’approvisionnement étrangères, notamment dans l’industrie de la défense.

La suprématie militaire américaine serait toutefois de plus en plus menacée par le développement rapide de l’Armée populaire de libération chinoise, qui évolue au même niveau que les forces armées américaines et pourrait même déjà les dépasser dans certains domaines. Pour rétablir la dissuasion, les États-Unis devraient considérablement renforcer leurs capacités militaires et accroître leur capacité de réaction face à toutes sortes de menaces.

La force économique, pilier de la puissance

Outre la supériorité militaire, la souveraineté économique est, selon l’auteur, un élément central de la « Overmatch Strategy ». Les Etats-Unis doivent s’affranchir de leur dépendance à l’égard d’importations critiques, principalement en provenance de pays comme la Chine. Le secteur de la défense américain est par exemple fortement dépendant des terres rares, qui sont en grande partie importées de Chine. Il s’agit là d’un point faible qui pourrait menacer l’approvisionnement des forces armées en cas de conflit.

Pour relever ce défi, les États-Unis doivent renforcer leur base industrielle et créer des incitations à la production nationale. Il est essentiel d’investir dans la production nationale, en particulier dans les secteurs critiques tels que la technologie des batteries. Parallèlement, il serait nécessaire d’introduire des barrières douanières afin de protéger les entreprises américaines des (prétendues) pratiques de dumping chinoises. Cela permettrait non seulement de renforcer la compétitivité des États-Unis dans le commerce international, mais aussi de garantir leur autonomie stratégique.

La politique énergétique comme levier géopolitique

Un autre pilier central de la nouvelle stratégie serait la politique énergétique. Trump pourrait, lors d’un second mandat, miser sur une relance de la « domination énergétique », une politique qui met l’accent sur les combustibles fossiles comme le pétrole et le gaz. Alors que l’administration Biden a tenté de mettre l’accent sur les énergies renouvelables, une administration Trump pourrait miser sur les énergies fossiles afin de réduire la dépendance des États-Unis vis-à-vis des sources d’énergie étrangères tout en renforçant sa position géopolitique.

Dans ce contexte, l’indépendance énergétique joue également un rôle. Depuis 2018, les États-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole, ce qui leur confère non seulement des avantages économiques, mais aussi une flexibilité géopolitique. L’exploitation de leurs propres ressources énergétiques élargirait la marge de manœuvre des États-Unis et leur permettrait de renforcer leurs alliances, par exemple en fournissant des ressources énergétiques à l’Europe.

Renforcement des alliances et leadership mondial

Un élément important de la politique étrangère américaine sous Trump aurait été la consolidation des alliances. Cela se poursuivrait probablement lors d’un second mandat, avec un accent accru sur le fait que les alliés renforcent leurs capacités militaires et réduisent leur dépendance vis-à-vis d’adversaires comme la Chine et la Russie. L’Europe, en particulier, hésite souvent à s’engager pleinement aux côtés des États-Unis, mais une nouvelle administration Trump pourrait faire pression pour une coopération plus déterminée.

Un autre élément de la politique étrangère consisterait à renforcer les relations commerciales bilatérales plutôt que les accords multilatéraux. Cela pourrait présenter l’avantage de nouer des partenariats spécifiques avec des pays riches en ressources et de réduire la dépendance de ces pays vis-à-vis de la Chine. Grâce à de tels accords, les États-Unis pourraient renforcer leur position géopolitique tout en élargissant leur base économique.

Supériorité militaire grâce à la technologie et à l’innovation

A l’avenir, la supériorité militaire des Etats-Unis ne reposera plus uniquement sur la quantité d’équipement ou le nombre de soldats, mais dépendra de plus en plus des innovations technologiques. L’utilisation de drones dans le conflit ukrainien a montré l’efficacité des technologies avancées pour neutraliser les structures militaires traditionnelles. De même, dans un conflit avec la Chine, des missiles à longue portée et des systèmes d’armes innovants pourraient par exemple neutraliser les avantages géographiques et quantitatifs des forces armées chinoises.

Pour s’imposer dans un éventuel conflit, les États-Unis doivent s’assurer qu’ils disposent des moyens technologiques leur permettant de garder une longueur d’avance sur leurs adversaires. Cela nécessite non seulement des investissements dans les nouvelles technologies, mais aussi un changement profond des processus de planification et de formation militaires afin de se préparer à la guerre du futur.

Réalisme dans la politique climatique

Une autre caractéristique potentielle d’une nouvelle administration Trump pourrait être une approche plus pragmatique de la politique climatique. Alors que l’administration Biden mise sur une décarbonisation rapide, Trump pourrait adopter une voie médiane qui tienne compte de l’impact économique du changement climatique sur les pays moins développés. Cela pourrait également favoriser de nouvelles alliances avec ces pays qui tentent de diversifier leurs économies sans se séparer complètement des combustibles fossiles.

Conclusion

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait en effet signifier un remaniement important de la politique étrangère américaine. Lors de son premier mandat, il avait déjà redéfini l’orientation géopolitique des États-Unis, au grand dam des élites européennes, en plaçant la compétition entre grandes puissances, y compris avec l’UE, au cœur de sa politique.

Si Trump redevient président, on peut en effet s’attendre à ce qu’il mise sur une combinaison de supériorité militaire, d’indépendance économique et de politique à dominante énergétique afin d’assurer la suprématie des Etats-Unis au détriment de ses vassaux en Europe et dans le reste de l’Occident collectif. Toutefois, son gouvernement ne parviendra que très partiellement à réaliser des actions aussi grandioses que celles imaginées par Mme Schadlow dans son rêve présenté ci-dessus.

Les pensées se rencontrent légèrement dans les sphères, mais les choses réelles se heurtent durement dans l’espace.

Rien que pour amener l’industrie de défense américaine à un niveau tel qu’elle produise un « overmatch » par rapport à la Russie et à la Chine, il faudrait non seulement des sommes énormes pour reconstruire et étendre l’industrie – en commençant par les branches de l’industrie de sous-traitance jusqu’au produit final – mais il faudrait en même temps investir des sommes énormes en temps et en argent dans l’éducation afin de mettre à la disposition de l’industrie les générations d’ingénieurs, de mathématiciens et de techniciens qui font actuellement défaut – dans dix ans peut-être. En effet, la « fuite des cerveaux », qui fonctionnait autrefois et qui consistait à attirer les scientifiques et les techniciens compétents de l’étranger, est depuis longtemps au point mort. Et en ce qui concerne le niveau de connaissances techniques de la population américaine, les Américains – lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes – sont en retard de plusieurs générations sur la Chine et la Russie.

Ces problèmes et bien d’autres concernant la politique commerciale, les finances américaines et le surendettement, la position chancelante du dollar en tant que monnaie de réserve, les réactions des alliés des États-Unis face au travail de sape de Mme Schadlow au sein de l’Organisation mondiale du commerce et bien d’autres encore feront en sorte que son rêve éveillé de reconquête de la suprématie mondiale des États-Unis ne soit qu’un rêve.

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