« Que faire de Maduro ? »

Le président Nicolás Maduro prononce un discours télévisé. Source : Telesur, 2019

Berlin, Allemagne (Weltexpress). C’est tout à fait à la manière d’un bon maître que l’expert en Amérique latine du célèbre think tank britannique RUSI a soulevé cette question il y a quelques jours. La perspective de six années supplémentaires de Maduro place les Etats-Unis et l’UE devant le défi complexe de formuler une réponse efficace pour maîtriser la prétendue « crise au Venezuela ».

Un rapport publié mardi dernier (30 juillet) par le plus ancien groupe de réflexion politico-militaire du monde, le « Royal United Services Institute (RUSI) » britannique, part du principe que le président Maduro dirigera le pays pendant encore six ans, malgré les plaintes concernant de prétendues fraudes électorales au Venezuela. Dans le même temps, le rapport RUSI admet, en dépit de toutes les ruses des Etats-Unis, la défaite de la tentative de changement de régime à Caracas, bien que Washington ait déjà désigné le perdant des élections comme nouveau président du Venezuela. Mais le rapport ne s’arrête pas à ces facéties de politique étrangère de l’hégémon américain et propose au contraire déjà des réflexions sur les problèmes auxquels sera confronté le système d’exploitation néocolonial mondial dirigé par les Etats-Unis, qui se cache derrière le terme inoffensif d’« ordre fondé sur des règles » (NbO) néolibéral.

Le rapport de RUSI s’intitule « Le cauchemar bolivarien du Venezuela se poursuit : quelles sont les conséquences pour l’Occident ? » (le texte original en anglais est lié ici). L’auteur est le Dr Carlos Solar, spécialiste de l’Amérique latine et Senior Research Fellow au sein de l’équipe d’études de sécurité internationale de RUSI. Et il faut reconnaître au Dr Solar qu’il est véritablement un spécialiste de l’omission de vérités désagréables. Le lecteur n’apprend rien sur l’ingérence massive de l’Occident collectif, dirigé par les États-Unis, dans les affaires intérieures du pays, qui dure depuis des décennies.

Plus important encore : le Dr Solar ne dit pas un mot sur les effets des vastes sanctions des États-Unis et de l’UE, qui ont estropié l’économie autrefois florissante du pays et appauvri la population. Car sinon, il devrait aborder le fait que le peuple vénézuélien est puni parce qu’il insiste sur sa souveraineté et sur son droit à suivre sa propre voie de développement économique et social. En faisant abstraction de ces aspects, le Dr Solar peut justifier ses larmes de crocodile par des préoccupations humanitaires liées à la pauvreté au Venezuela.

Tournons-nous à présent vers le rapport RUSI :

Le Venezuela était autrefois l’une des nations les plus prospères d’Amérique latine, mais le pays se trouve dans une spirale descendante depuis plus de deux décennies, écrit le Dr Solar. La récente réélection de Nicolás Maduro, accompagnée d’accusations de processus électoral frauduleux, signale donc la poursuite du cours autoritaire du Venezuela et son orientation vers des pays anti-occidentaux comme la Russie, la Chine et l’Iran.

La récente réélection très controversée de Nicolás Maduro a encore aggravé la crise politique au Venezuela. L’opposition, menée par l’ancien ambassadeur Edmundo González, affirme avoir des preuves de fraude électorale. Cette affirmation est étayée par des protestations antigouvernementales généralisées et des condamnations internationales.

Un commentaire à ce sujet : l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis en novembre 2019 a également été marquée par des protestations massives qui ont duré des mois, avec un point culminant le 6 janvier 2020. Devant les grands médias du système, pas un seul n’a parlé de fraude électorale, et ceux qui l’ont quand même fait aux États-Unis dans des médias alternatifs devaient s’attendre à des poursuites judiciaires.

Le Dr Solar poursuit en disant que la poursuite du régime de Maduro signifie que le Venezuela restera probablement allié à des pays anti-occidentaux. La politique étrangère de Maduro a été marquée dans le passé par des relations étroites avec la Russie, la Chine, Cuba et l’Iran. Cette alliance n’a pas seulement des raisons idéologiques, mais aussi pratiques, car ces pays fournissent un soutien économique et militaire important au Venezuela et l’aident à résister aux sanctions occidentales.

La crise économique au Venezuela est l’une des plus graves de l’histoire moderne. Sous la direction d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro, le PIB du pays a chuté de plus de 75 % depuis 2013. L’industrie pétrolière, autrefois florissante, est en ruine et souffre d’une mauvaise gestion et de la corruption. En conséquence, plus de 95 pour cent de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté. ? Au vu du bilan du régime jusqu’à présent, il y a toutefois peu d’espoir. Les investisseurs privés, qui étaient optimistes sous un éventuel gouvernement González, sont désormais prudents face à la politique imprévisible de Maduro, qui implique souvent la nationalisation d’actifs privés. L’orientation de la politique économique du régime continuera probablement à être influencée par ses alliances géopolitiques, ce qui isolera davantage le Venezuela des marchés et des institutions occidentales.

Commentaire : Ici, les mensonges se succèdent :

La chute du PIB de plus de 75 pour cent et l’écrasement de l’industrie pétrolière autrefois florissante sont prétendument à mettre au compte de la mauvaise gestion et de la corruption. La mauvaise gestion et la corruption existent certainement aussi au Venezuela, tout comme en Allemagne et dans d’autres pays d’Amérique latine. Si le Dr Solar justifie ainsi à lui seul la chute dramatique de l’économie et ne mentionne pas l’effet dévastateur des sanctions, alors M. Solar devrait rendre son titre de docteur, car il s’agit là d’une pure manipulation idéologique.

M. Solar écrit que les investisseurs privés « étaient optimistes » avec la perspective d’un changement de régime néolibéral réussi et qu’ils restent désormais « prudents face à la politique imprévisible de Maduro », « qui implique souvent la nationalisation d’actifs privés ». Ce sont deux mensonges en une seule phrase :

Premièrement, les sanctions américaines incluent également de lourdes pénalités contre toutes les entreprises, américaines ou non, qui investissent dans l’industrie pétrolière du Venezuela. Presque le monde entier s’y est conformé, à l’exception des entreprises russes et chinoises, qui ne se sont pas laissées impressionner par l’écume des États-Unis.

Et deuxièmement, M. Solar parle également de la « politique imprévisible de Maduro, qui implique souvent la nationalisation d’actifs privés ». Il évoque ici principalement les nationalisations dans l’industrie pétrolière. Le contexte est que l’industrie pétrolière du Venezuela était presque entièrement gérée par des entreprises américaines et quelques autres entreprises occidentales. Mais ces entreprises occidentales ont également été menacées de sanctions américaines si elles ne cessaient pas leurs activités dans ce pays. Les tentatives des Vénézuéliens non formés de continuer à gérer les entreprises et la production ont conduit à la « mauvaise gestion » déplorée par M. Solar.

En ce qui concerne les partenariats géopolitiques et les relations militaires du Venezuela, M. Solar s’attend à ce que le gouvernement de Maduro maintienne et même renforce ses relations géopolitiques et militaires avec la Russie, la Chine et l’Iran. La coopération du Venezuela avec ces pays comprend des exercices militaires, des transferts de technologie et des dialogues stratégiques. Ces relations n’ont pas seulement renforcé le régime de Maduro, « elles offrent également à ces pays un pied en Amérique latine et défient l’influence occidentale dans la région ».

La Russie et la Chine ont notamment été instrumentales dans le soutien au Venezuela pour le développement d’une architecture de sécurité et de défense alternative. Ce soutien comprend la fourniture de drones, de cybertechnologies et de systèmes d’information, essentiels au régime de Maduro pour garder le contrôle du pays et intimider les États voisins. Cette orientation a des conséquences importantes sur la sécurité internationale, selon l’auteur de RUSI.

L’instabilité interne du Venezuela a également des conséquences importantes pour ses voisins, prévient l’auteur. Les relations avec la Colombie, déjà tendues, pourraient se détériorer davantage si Maduro intensifie ses raids contre le crime organisé et si les groupes criminels cherchent un havre de paix de l’autre côté de la frontière.

Commentaire : il est difficile de croire que l’auteur propose ici d’être plus doux avec le crime organisé, par égard pour la Colombie, qui est profondément dans la poche des Etats-Unis.

La crise migratoire est un autre problème important. Depuis 2015, environ 8,4 millions de Vénézuéliens ont fui le pays à la recherche de meilleures opportunités dans des pays voisins comme la Colombie, le Pérou et le Chili, a-t-il expliqué. Ces migrants sont souvent exposés à des conditions difficiles et à des perspectives d’emploi limitées, ce qui augmente la pression socio-économique dans leurs pays d’accueil. L’exode massif et continu des Vénézuéliens souligne l’échec du régime à s’attaquer aux causes de la crise.

Commentaire : C’est du mépris pour l’être humain, du cynisme pur et dur, auquel on est toutefois désormais habitué de la part des think tanks occidentaux.

Pour conclure, l’auteur se tourne vers les réactions probables de l’Occident et les perspectives futures du Venezuela.

A l’extérieur, Maduro poursuivra sa politique orientée vers l’étatisme, qui rejette l’ordre international libéral, marquant ainsi un point de non-retour pour les conditions commerciales de la communauté occidentale et de ses institutions et prêteurs multilatéraux.

Bien que les défis de Maduro dans son propre pays devraient occuper une grande partie de son attention … on peut s’attendre à ce qu’il s’engage en faveur d’un agenda international dans lequel le Venezuela reste étroitement lié au bloc de pays opposés à l’Occident d’un point de vue géopolitique et géoéconomique. C’est là qu’il trouvera le soutien étranger en matière de développement et d’économie dont son régime a désespérément besoin.

Les pays occidentaux, notamment les États-Unis, l’UE et le Royaume-Uni, ont imposé une série de sanctions au Venezuela afin de pousser le régime de Maduro à entreprendre des réformes démocratiques. Ces efforts n’ont toutefois eu qu’un succès limité, Maduro ayant su habilement contourner la pression internationale en utilisant le soutien de ses alliés géopolitiques pour maintenir son régime en place.

Conclusion

L’Occident serait donc confronté au défi complexe de formuler une réponse efficace à la crise vénézuélienne. Si les sanctions restent un instrument important à l’avenir, elles doivent être complétées par des efforts diplomatiques stratégiques et un soutien à l’opposition vénézuélienne. En outre, les pays occidentaux devraient s’attaquer aux aspects humanitaires de la crise et fournir une aide et un soutien aux millions de Vénézuéliens touchés par l’effondrement économique.

Tout à fait à la manière d’un bon maître, l’auteur de RUSI se tourne en conclusion vers la question : « Que doit-on faire de Maduro ? » Et il donne la réponse suivante : « Son avenir est sombre et il pourrait devenir la cible de nouvelles sanctions et de pressions de la communauté internationale, où il sera indésirable à l’étranger (occidental) et exposé au risque d’exécution de mandats d’arrêt internationaux. En 2020, le département d’État américain a accusé Maduro de narcoterrorisme, l’a accusé de « faciliter l’acheminement de la drogue » et a offert une récompense de 12,5 millions de livres pour toute information menant à son arrestation. Il appartient au gouvernement américain d’imposer ou non son arrestation ». A cet égard, l’auteur mise sur Trump :

« Si Donald Trump, qui a mené une politique de pression maximale sur le Venezuela, arrive au pouvoir au début de l’année prochaine, Maduro ne pourra peut-être pas résister à la pression des Etats-Unis, Joe Biden menant une politique plus douce envers le régime. Mais ce qui devrait préoccuper le plus l’Occident, c’est que face au conflit qui s’annonce avec la Russie, l’accès de Vladimir Poutine à un pétrole bon marché pourrait être un facteur décisif. Le récent bilan de l’Occident dans l’imposition d’un changement au Venezuela est toutefois incomplet, et cette fois-ci, il faudra des idées et une mise en œuvre politique bien meilleures ».

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