Bundestag : la résolution sur l’antisémitisme est du pur cynisme

Un aperçu du Bundestag allemand, organisé au Reichstag de Berlin. Source : Pixabay, photo : simonschmid614

Berlin, Allemagne (Weltexpress). Ceux qui ont toujours espéré qu’un jour, même au sein du Bundestag allemand, une vision réaliste des crimes israéliens serait possible seront amèrement déçus. La résolution qui vient d’être adoptée ne fait que renouveler le serment selon lequel toute critique d’Israël est antisémite.

La résolution sur l’antisémitisme a été adoptée jeudi au Bundestag. Le week-end dernier, les groupes parlementaires de la CDU/CSU, du SPD, des Verts et du FDP se sont mis d’accord sur ce texte, dont les premières variantes circulaient déjà depuis des mois. Depuis des mois également, des objections ont été formulées à son encontre, mais le résultat final ne montre pas qu’elles aient porté leurs fruits d’une quelconque manière.

Au contraire. La motivation de cette résolution est déjà le résultat d’un raisonnement circulaire. En effet, la raison invoquée est que, depuis le 7 octobre 2023, on voit en Allemagne « la haine des Juifs et l’antisémitisme lié à Israël à un niveau sans précédent depuis des décennies ». En pratique, comme le savent les observateurs attentifs, les parquets allemands poursuivent comme antisémites toute une série de déclarations propalestiniennes, à commencer par le vieux slogan de l’OLP « from the river to the sea ». Ainsi, parce que les actions dirigées contre la guerre israélienne à Gaza sont considérées comme antisémites, l’antisémitisme augmente ; ce qui, en retour, et c’est le cœur même de cette résolution, conduit à de nouvelles mesures de persécution contre les expressions d’opinion, qui sont à leur tour comptabilisées dans cette catégorie et semblent légitimer la persécution.

« Ces derniers mois, l’ampleur effrayante d’un antisémitisme fondé sur l’immigration en provenance des pays d’Afrique du Nord et du Proche et Moyen-Orient, où l’antisémitisme et l’hostilité à Israël sont répandus, notamment en raison de l’endoctrinement islamiste et anti-israélien de l’État, est notamment devenue évidente ».

C’est peut-être ce qui est le plus effrayant dans cette résolution – ce texte n’a rien à voir avec la réalité. Même ceux qui adhèrent à l’assimilation absurde entre Israël et le judaïsme (comme malheureusement la majorité des députés du Bundestag) devraient se rendre compte que les bombes lancées par les avions israéliens, comme celles qui s’abattent sur la Syrie et le Liban, sans parler de Gaza, sont bien plus efficaces que l’« endoctrinement étatique anti-israélien » supposé. Sans parler de la perte de proches parents dont ont souffert de nombreux Palestiniens allemands.

Non, une attitude contre la politique de guerre israélienne serait un impératif d’humanité. On peut débattre de la pertinence ou non de la définition de l’antisémitisme utilisée – il existe en tout cas des alternatives à la définition utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui ont toutes un point commun : elles font la distinction entre l’antisémitisme et la critique de l’État israélien et de sa politique. C’est précisément sur ce point que la définition de l’IHRA est floue, et la résolution du Bundestag s’en sert comme base non seulement pour déclarer à nouveau toute critique d’Israël comme étant de l’antisémitisme, mais aussi pour émettre d’emblée toute une série de recommandations qui sont, une fois de plus, profondément antidémocratiques.

Cela commence par le fait que le gouvernement fédéral est invité à « s’engager auprès des Länder et des communes pour qu’ils mettent en œuvre des réglementations correspondantes et, si ce n’est pas encore le cas, à utiliser la définition de l’antisémitisme de l’IHRA comme référence ».

Tous ceux qui ont observé les attaques croissantes contre la liberté d’expression en Allemagne au cours des dernières années savent ce qui se cache derrière la phrase suivante : « Nous devons lutter contre la désinformation ciblée et les appels à la mobilisation antidémocratique ».

Et le tour est joué. Les « possibilités répressives » doivent être « exploitées de manière conséquente ». Y compris dans le droit d’asile et de la nationalité. Il est demandé d’interdire si possible d’autres « organisations extrémistes » – cela vise avant tout les organisations palestiniennes ou celles qui sont actives dans la solidarité avec la Palestine. Des « règles juridiquement sûres, notamment budgétaires » doivent être élaborées afin d’éviter de « promouvoir des projets et des réalisations ayant notamment des objectifs et des contenus antisémites ». Comment cela s’est-il passé à la Berlinale en février dernier ? On n’aime pas le dire, mais il existe depuis longtemps déjà un boycott de l’Allemagne par les scientifiques et les artistes en raison de son soutien inconditionnel au génocide de Gaza. C’est précisément l’art, la culture et la science qui sont visés par ces « règles d’économie budgétaire ».

Les écoles et les universités sont invitées à prendre des mesures contre les « comportements antisémites ». « Cela comprend l’application du droit de domicile, l’exclusion de l’enseignement et des études jusqu’à l’exmatriculation dans les cas particulièrement graves ».

La raison pour laquelle tous ces points sont inscrits dans une telle déclaration est que beaucoup d’entre eux relèvent justement du droit des Länder, sur lequel l’Etat fédéral ne peut pas intervenir. L’objectif de la résolution est de faire pression sur les Länder et les communes, dans la mesure où ils ne sont pas disposés à le faire. Le fait que cette résolution ait fait l’objet d’un accord interne entre les groupes politiques doit permettre de prétendre à la vérité.

L’ombre de l’apartheid

L’absurdité de l’ensemble peut être démontrée par une seule demande : « Le Bundestag (…) demande au gouvernement fédéral (…) de renforcer les activités dirigées contre le mouvement BDS. Cela inclut l’examen d’une interdiction d’activité ou d’organisation du BDS en Allemagne ».

BDS signifie en toutes lettres Boycott, Désinvestissement et Sanctions. Il s’agit d’une campagne qui exige contre Israël une action similaire à celle menée contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Ce n’est pas seulement une décision tactique d’adopter un modèle qui a contribué à la fin de l’apartheid. Il y a un lien plus profond.

Même si le BDS a été créé en Palestine, dans de nombreux endroits, aux États-Unis comme en Allemagne, les juifs non sionistes y jouent un rôle important. De même que dans la lutte initiale contre l’apartheid sud-africain – les opposants blancs les plus en vue à l’apartheid, comme Nadine Gordimer ou Denis Goldberg, arrêté avec Nelson Mandela, étaient des juifs sud-africains, tandis que l’État d’Israël a collaboré jusqu’au bout avec le régime de l’apartheid et a même été impliqué dans les troupes de mercenaires avec lesquelles Le Cap combattait ses voisins noirs.

Si l’Afrique du Sud mène aujourd’hui la plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice, c’est donc pour deux raisons – d’une part, parce que le gouvernement israélien était à l’époque allié à l’apartheid, mais d’autre part, justement, parce que les autres, les juifs non sionistes, étaient des alliés importants du mouvement de libération des Noirs, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique du Sud. Le fait que le BDS ne veuille pas seulement utiliser les mêmes techniques de résistance civile globale, mais qu’il soit porté en de nombreux endroits par les mêmes groupes de personnes, n’est donc pas une aberration soudaine, mais a une longue histoire.

Toutefois, le fait que les Palestiniens et les Juifs travaillent ensemble au sein de BDS semble contredire de manière très subtile les idées de la politique allemande. De même que d’autres organisations de ce type, comme le groupe munichois « Salam Shalom », sont particulièrement impopulaires. Le texte de la résolution parle en tout cas constamment de « vie juive en Allemagne », mais pas une seule fois d’Allemands juifs.

Cela simplifie bien sûr la construction qui consiste à les récupérer aveuglément pour Israël, car dans les tiroirs bien rangés, ni les Juifs – ni les Palestiniens qui vivent en Allemagne depuis trois générations – ne peuvent prétendre être des Allemands. Ce n’est qu’avec ce genre de raisonnement qu’il est possible de dénier à ceux qui font les travaux préparatoires pour une cohabitation pacifique au Proche-Orient, en collaborant avec des organisations comme BDS ou « Salam Shalom », le droit d’être juifs – car sinon, BDS et « Salam Shalom » devraient faire partie de la « vie juive en Allemagne », qui mérite d’être protégée, et ne pas être la cible d’une éventuelle interdiction.

La République fédérale a d’ailleurs fourni au régime de l’apartheid non seulement des armes, même après l’imposition d’un embargo de l’ONU, mais aussi des équipements pour les technologies nucléaires, et même les fusils avec lesquels la révolte des écoliers de Soweto a été réprimée en 1976 étaient allemands. La coopération entre le groupe d’armement allemand Rheinmetall et le groupe sud-africain Denel date de cette époque. D’une manière absurde, l’attitude actuelle du gouvernement fédéral vis-à-vis d’Israël est donc une répétition de la même pièce, avec des rôles quelque peu redistribués.

Vouloir le bien et créer le mal

C’est comme dans d’autres domaines de la politique – des phrases apparemment morales remplacent la réflexion nécessaire, et des décisions sont prises avec élan, qui atteignent exactement le contraire de ce qu’elles sont censées faire. S’il est un comportement étatique qui favorise un véritable antisémitisme, c’est bien l’assimilation insistante du judaïsme et d’Israël, accompagnée d’une répression contre tous les « faux » juifs, comme ceux qui sont actifs dans BDS. Car la seule technique efficace contre les préjugés est de les réfuter dans la vie réelle. Et le seul moyen pour que la haine – justifiée – des crimes israéliens à Gaza ne se transforme pas en haine des juifs est de rendre visible que ce sont des actes de la politique israélienne dont certains politiciens sont responsables et qu’il y a beaucoup de personnes juives qui regardent le génocide avec exactement le même dégoût et la même horreur.

Dans l’un des articles consacrés à ce projet, il était dit que si les « recommandations » étaient appliquées, même le rédacteur en chef du journal israélien Haaretz ne pourrait plus se rendre en Allemagne, car il a lui aussi parlé, bien que prudemment, de génocide. En même temps, à aucun moment dans cette résolution, on ne voit la moindre distance de la part de Benjamin Netanyahu et de ses acolytes ; comme si toutes les déclarations et les actions inhumaines de l’année dernière n’existaient pas. Pourtant, l’assimilation du génocidaire sanguinaire et vaniteux Netanyahu au judaïsme est une insulte plus grave que ne pouvait l’être la caricature la plus féroce du Stürmer.

Même l’engagement du bout des lèvres en faveur d’une « solution négociée à deux Etats “ et du prétendu objectif de ”permettre aux populations des côtés israélien et palestinien de vivre dans la sécurité, la liberté, la dignité et avec les mêmes droits » ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit. Car c’est précisément sur ce point que la cohérence nécessaire consisterait à accorder tout le soutien possible aux groupes qui sont en quelque sorte les cellules germinales de ces relations pacifiques.

Juste après les États-Unis, c’est l’Allemagne qui soutient et défend l’agression israélienne. Avec son propre argent et ses propres armes, mais aussi avec l’autorisation d’effectuer des livraisons d’armes via Ramstein.

Et même si l’on affirme souvent le « droit à l’existence d’Israël », ce sont précisément ces actions qui contribuent à ce que l’existence de l’État d’Israël ne soit plus possible à long terme. Car l’histoire nous l’a également enseigné : lorsqu’un État est si profondément imprégné d’idées fascistes, il est extrêmement rare que ceux qui restent debout puissent y remédier de l’intérieur ; la seule solution est généralement le démantèlement de cet État de l’extérieur.

Une évolution qui aurait pu être évitée si les critères de l’humanité avaient été appliqués au lieu de la formule creuse et si la « communauté internationale » tant vantée avait réagi immédiatement au début du génocide. C’est justement cette guerre atroce contre la population civile palestinienne (et maintenant aussi libanaise) qui nie ce droit à l’existence.

Le non-débat au Bundestag

Ceux qui croient que l’assimilation de la critique d’Israël et de l’antisémitisme dans cette résolution n’est pas exactement ce qu’elle veut dire ont également été détrompés lors du débat au Bundestag. Le discours d’Andrea Lindholz (CDU), qui a repris les accusations portées contre Aydan Özoğuz, était typique à cet égard : « Même au sein de la présidence de cette Assemblée (…) siège en la personne de Mme Özoğuz une femme qui a fait siennes à plusieurs reprises les déclarations d’une organisation antisémite et anti-israélienne ».

Cette organisation « antisémite » s’appelle Jewish Voice for Peace, Voix juive pour la paix.

D’ailleurs, l’orateur de l’AfD, Jürgen Braun, est allé dans le même sens : « Le parti de la chancellerie, le SPD, s’offre avec Aydan Özoğuz une vice-présidente du Bundestag qui s’en prend à Israël sur Internet et assimile le sionisme à la mort et à la violence. (…) Celui qui assimile le sionisme à la mort et à la violence nie le droit à l’existence d’Israël ».

Les images partagées par Özoğuz étaient de vraies images d’une attaque israélienne sur un camp de réfugiés palestiniens à Gaza. A travers le Bundestag, on ne se demande même pas comment la simple représentation de la réalité pourrait être de l’« incitation », et tous ceux qui prennent connaissance des événements à Gaza comme au Liban savent que c’est le gouvernement israélien qui, au prix d’un énorme effort, a fait en sorte que le sionisme soit assimilé à la mort et à la violence, à un degré que l’on n’avait pas connu depuis les massacres de Sabra et Chatila en 1982.

L’unité de l’AfD avec l’orientation de cette résolution va même plus loin : « Nous avons demandé il y a des années une interdiction complète du BDS et du Hezbollah, une suppression totale des millions de l’UNRWA de Mme Baerbock et de votre ministère ».

Il n’y a eu que deux amendements – le groupe de gauche a suivi la proposition, publiée le 23 octobre dans le FAZ, qui demandait d’utiliser une autre définition de l’antisémitisme et de ne pas opposer les minorités juive et musulmane. Elle a été rejetée par tous les partis, à l’exception de la gauche et du BSW.

L’amendement du BSW contenait même une critique du gouvernement Netanyahu : « Le Bundestag allemand s’oppose à toute tentative de faire taire les critiques sur les violations du droit international par le gouvernement israélien ».

Les deux amendements ont été rejetés. Et alors que d’habitude, chaque vote commun avec l’AfD fait immédiatement la une des journaux pour réclamer le « mur de feu » et invoquer la chute de la démocratie, cette fois-ci, il n’y a eu aucun problème.

Le Bundestag allemand reste fidèle aux traditions de l’Allemagne fédérale (la RDA n’a jamais eu de relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud de l’apartheid) et restera jusqu’à la dernière minute une fois de plus du mauvais côté de l’histoire. Le fait que cette résolution profondément antidémocratique et hostile à la paix doive être adoptée précisément en lien avec le 9 novembre et la commémoration du pogrom nazi ne fait que rendre ce processus particulièrement cynique.

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