
Berlin, Allemagne (Weltexpress). Une génération vient de passer sans que l’Europe soit traversée par des frontières minées. Mais ce que les Polonais et quelques autres ont l’intention de faire ne vise qu’à première vue l’ennemi russe présumé. « Oui, mais les morts du Mur » – j’entends ce mantra sur la RDA depuis aussi longtemps que je me souvienne. Un commentaire récent dans le Berliner Zeitung m’a rappelé cela, mais aussi d’autres frontières, dans le présent. Et une fois de plus, les deux situations apparaissent comme un motif musical et son inversion…
Au fond, seules quelques phrases établissent ce lien. L’auteur de ce commentaire était dans la marine populaire de la RDA et est aujourd’hui éditeur. Il résume assez bien l’aspect qui est souvent occulté dans tout le récit des « morts du mur » :
« Jusqu’en septembre 1990, ni Berlin ni Bonn ne décidaient de la frontière entre les deux alliances à la Werra et à l’Elbe, ni du régime frontalier qui y était en vigueur. (…) Cette frontière était militaire, elle était donc sécurisée par des moyens militaires. Cela décrit bien le dilemme de la direction de la RDA, qui n’était pas seulement tenue pour responsable du régime frontalier sur le plan matériel. »
Et quelle frontière militaire ! Jusqu’au début des années 1980, tout le concept de l’OTAN s’appelait « défense avancée » et consistait, dans un premier temps, à repousser la ligne de front le plus loin possible vers l’est, c’est-à-dire au cœur de la RDA. Officiellement, cela n’avait rien de secret. Il s’agissait donc de champs de mines dont le but était de constituer une première ligne de défense contre cette tactique. Mais dès les années 1970, on disait que leur fonction principale était d’empêcher les citoyens de la RDA de quitter le pays.
Seulement, outre ce souvenir et le débat toujours principalement propagandiste et non historique qui l’entoure, un événement actuel vient s’ajouter. À savoir que la Finlande, la Pologne et les pays baltes ont retiré leur signature de la Convention d’Ottawa sur les mines terrestres, au motif qu’ils devaient sécuriser leurs frontières. Contre l’ennemi russe qui les menacerait.
Toutefois, ces champs de mines ne sont pas très efficaces contre une menace militaire réelle ; l’armée dispose des moyens et des méthodes pour les neutraliser, et avant même que les troupes au sol ne soient tentées de s’y frayer un chemin, de nombreux projectiles auraient déjà été lancés dans les deux sens.
Mais que se passerait-il si le deuxième motif, toujours avancé pour la frontière de la RDA, jouait également un rôle ici, non pas en ce qui concerne ceux qui sortent, mais ceux qui entrent ? Soit dit en passant, ces champs de mines bloquent également quelques routes migratoires, avec peu de personnel, mais un danger maximal pour les migrants.
Il est tout de même un peu étrange qu’en Allemagne, un vaste appareil composé d’ONG et d’avocats se mobilise pour empêcher les migrants de rester en Pologne au lieu de les laisser entrer en Allemagne, et que cet appareil n’ait jusqu’à présent pas dit un mot sur les champs de mines prévus le long des frontières orientales… Et ce, alors que la différence entre un séjour en Allemagne et un séjour en Pologne est purement quantitative, tandis que le risque d’être mis en pièces en franchissant la frontière dans le cadre d’une entrée illégale ne semble pas tout à fait proportionné.
Oui, bizarrement, ce que l’on a toujours reproché à la RDA est désormais pratiqué par la Pologne et d’autres pays, à savoir une militarisation de la frontière qui vise principalement les personnes qui veulent la franchir. Imaginons un instant que le gouvernement Salvini en Italie n’ait pas empêché les navires des « sauveteurs en mer » d’entrer dans les ports, mais qu’il ait miné la frontière maritime italienne. Cela aurait suscité à juste titre un tollé général.
Mais cela fonctionne à merveille de raconter l’histoire du danger russe, tout en visant en fin de compte les Afghans et les Pakistanais. Car, tout comme dans le récit sur les installations de sécurité frontalières de la RDA, où l’on fait toujours comme s’il n’y avait pas de stratégie de l’OTAN ni de ligne de contact entre deux alliances militaires, l’aspect des routes migratoires est aujourd’hui complètement occulté dans le contexte des mines terrestres (appelées à juste titre mines antipersonnel). Car aujourd’hui, il suffit de brandir un peu le spectre du méchant Russe pour que toute réflexion soit efficacement étouffée.
Pourtant, on trouve des preuves que le type de fortifications que la Pologne a érigées ces dernières années à sa frontière orientale a déjà fait des victimes, même si cela n’est plus aussi visible qu’en 2021, lorsque des groupes importants ont tenté de franchir la barrière frontalière. En 2023, un film polonais très acclamé a été réalisé sur ce sujet : « Grüne Grenze » (Frontière verte). Si la Pologne mine effectivement sa frontière, comme elle prévoit de le faire, ces mines tueront certainement des migrants, alors que la « menace russe » n’est plus qu’une hypothèse. D’ailleurs, le Parlement polonais a suspendu le droit d’asile pour le moment en février.
Il en va de même pour tous les autres pays qui ont quitté la Convention d’Ottawa. Même si la Pologne et les pays baltes ne sont pas les véritables cibles. Le fait est que les réseaux qui tirent profit du transport des migrants se moquent bien que la marchandise humaine atteigne sa destination ; ils utilisent toutes les routes qui leur semblent praticables.
Mais si l’on examine de plus près ce qui s’est passé ou ce qui va se passer à ces frontières, il existe une différence cruciale : ceux qui ont franchi les installations frontalières de la RDA savaient ce qui les attendait et ont décidé de prendre le risque. Ceux qui vont se heurter à un champ de mines à la frontière orientale de l’OTAN ne comprendront probablement même pas les panneaux d’avertissement. Oui, peut-être que cette configuration des frontières entraînera à long terme un déplacement des itinéraires, mais comme chaque itinéraire est contrôlé par différents réseaux criminels, cela se fera très lentement, d’autant plus que ceux qui minent la frontière n’ont aucun intérêt à ce que cet aspect retienne trop l’attention du public.
Certes, ce ne serait qu’un nouvel exemple du cynisme pratique qui prévaut dans ce domaine au sein de l’UE. Comme dans le cas du « sauvetage en mer », qui a contribué à établir la route méditerranéenne, car les canots pneumatiques que l’on voit habituellement ne peuvent pas parcourir de longues distances et ne couvrent que la dernière partie du trajet jusqu’au « navire de sauvetage ».
Ainsi, alors que dans l’UE même, toute forme de refoulement est attaquée comme inhumaine, même si elle réduit en fin de compte le danger de mort pour les personnes concernées, cette même UE transforme ses frontières extérieures en un piège mortel sous le prétexte de la « menace russe ». L’indignation morale reste toutefois réservée à la frontière disparue depuis longtemps entre le Pacte de Varsovie et l’OTAN.